INTRODUCTION
Comme pour de nombreux autres produits agricoles des images d’Epinal nous ont été communiquées jusqu’à en oublier leur origine et leur pluralité. Dans le cas de la vanille, il se peut que le tube en verre ait conditionné la perception que l’on a de la vanille : longue de 16 à 18cm, fine, brune, striée, aux parfums doux et sucré, parfait pour les pâtisseries maison. Pour s’intégrer dans cet élégant contenant, la vanille se doit d’être ce bâton noir et vertical, mais cela va plus loin. En effet, comme nous l’avons souligné dans l’article précédent, ce choix résulte d’une réflexion commerciale et a eu comme conséquence d’orienter la production vers une variété bien spécifique de vanille à même de remplir l’espace de cet emballage devenu prison. Ainsi, l’objectif ici est de remettre en avant la gousse en repartant de la plante afin de souligner sa diversité et d’appuyer le fait que sa qualité ne réside pas dans l’illustration qui nous en a été présentée mais qu’à l’inverse, c’est dans sa pluralité que nous pourrons puiser sa richesse.
Afin d’illustrer notre propos succinctement, nous organiserons cet écrit en trois parties, relatives à trois échelles : d’une part la vanille en tant qu’espèce, d’autre part la vanille et son inscription géographique et enfin, la vanille en plantation.
I. Des espèces de vanilles plurielles
La famille d’orchidée vanilla comprend plus de 150 espèces différentes dont quelques-unes nous offrent ces fruits-épices. Nous pouvons citer par exemple : la Vanilla planifolia, tahitensis, pompona, cribbiana, bayana ou encore chamissonis ainsi que de nombreux hybrides.
Chacune dispose de ses attributs et qualités spécifiques. Tandis que la Vanilla planifolia, très concentrée en vanilline, est la variété la plus cultivée à des fins alimentaires, la Vanilla tahitensis est d’avantage reconnue pour sa puissance olfactive en parfumerie avec ses notes florales et anisées. L’histoire raconte que cette variété découverte à Manille aux Philippines, aurait été sélectionnée par M. A. Guerlain pour être cultivée en Polynésie française et ajouter à la recette de son parfum mythique. La Vanilla cribbianna, une variété d’Amérique centrale, très prisée du temps des Mayas, vient d’être remise en culture par le travail de la famille Ramirez au Guatemala après des années passées dans l’oubli. Elles offrent des gousses aussi petites que la variété Vanilla pompona de Guyane, très charnue mais différentes en aromes. Alors qu’on attribue au Mexique le berceau de la vanille, dont les premières découvertes européennes remontent à Hernán Cortés au XVe siècle, on fait encore aujourd’hui des découvertes de vanilles sauvages jusqu’au Brésil comme la variété bayana. Des botanistes et scientifiques parviennet également à mélanger des variétés de vanille pour obtenir de nouvelles espèces aux caractéristiques souhaitées. C’est comme ça que le CIRAD, sur l’île de la Réunion a créé la variété handa en croisant une Vanilla tahitensis et une planifolia qui devrait être résistant aux attaques d’un champignon qui ravagent les cultures de Madagascar à La Réunion.
Ses espèces présentent dans leur environnement naturel ont été déplacé de l’Amérique, en Océanie, en passant par l’Afrique depuis plusieurs siècles en utilisant la technique du bouturage. On coupe un morceau de la plante et on le met en terre, celui-ci crée alors de nouvelles racines et reprend vie. Avec le temps, le vanillier s’adapte à son nouvel environnement et développe ses caractéristiques propres. Tout comme le café, le thé ou la vigne, la vanille exprime des arômes spécifiques selon son lieu de culture. Comment peut-on parler de vanille au singulier quand on sait qu’elle pousse en Tanzanie, en Nouvelle Calédonie, à Mayotte ou à Bali ? Comment les mettre sur le même plan aromatique ? Je vous invite à lire les travaux de M. Côme et également à lire les descriptions de chaque vanille du site Maison Roellinger.
En intégrant l’idée que la géographie joue un rôle sur les arômes, pourquoi ne pas parler de vanilles de terroir ? Car c’est bien l’alliance entre la nature et la main des préparateurs-affineurs qui permet son expression et que des notes aromatiques spécifiques s’émanent des gousses.
Terroir : « Il s’agit donc d’une région (territoire) d’où émane une production agricole (culture, élevage) typique, fruit de la conjonction unique de facteurs culturels (techniques et savoir-faire) et naturels (géologie, pédologie, climat, exposition, microbiologie). » Christophe Lavelle, chercheur au CNRS et au Muséum national d’Histoire naturelle
Cette diversité s’incarne par des formes particulières, des arômes singuliers mais également par des histoires et des préparateurs-affineurs distincts qui créent et se lient à la vanille. Dans toute cette arborescence, le rôle du “sourceur de vanille” prend tout son sens pour guider le consommateur à choisir entre une vanille ou une autre. Comme les “sourceurs de cacao” ou les “dégustateurs importateurs spécialisés” de thé, ou même les cavistes. Ils établissent un lien de confiance avec les artisans et se déplacent jusqu’à eux afin de comprendre leur travail, déguster leurs productions ainsi que des lots expérimentaux. De belles découvertes sont possibles grâce à leur palais aiguisé et connaissance du marché.
Dans le livre « Thé Histoire Terroirs Saveurs, Maison de thé Camellia Sinensis », de Jonathan Racine, nous pouvons lire la distinction nette faite entre un thé “bon marché” et un thé “de spécialité” ainsi que le rôle de ces “dégustateurs importateurs spécialisés”, que nous reprenons ici :
“Ordinairement, la distribution est assurée par de grandes sociétés d’import-export qui achètent et revendent à des grossistes qui, eux, revendent la marchandise à d’autres distributeurs la presque totalité des thés offerts sur le marché international. Il va sans dire que ces sociétés recherchent davantage un thé bon marché pour la consommation courante qu’un produit de dégustation lui choisit en fonction de sa complexité gustative et de son caractère unique. Il les achète ensuite à juste prix et les importe par avion afin que toute la fraicheur soit préservée.”
Plusieurs points sont soulevés opposants le thé conventionnel du thé de haute qualité : le transport, la fraîcheur, les intermédiaires de vente, le prix, les arômes. Travaillant dans la filière vanille depuis plusieurs années, je vois des corrélations sur les relations que j’ai avec mes clients. Certains feront tout pour baisser les prix et d’autres seront à l’écoute et viendront même jusqu’à São Tomé. Il existe bien ces deux marchés d’où l’importance, selon moi, d’avancer sur une identification claire pour les consommateurs. Des vanilles préparées et affinées rapidement, vendues sur le marché de l’agroalimentaire, épuisées ou en aromes ne représentent pas le même produit que des vanilles préparées et affinées pendant plusieurs mois, artisanalement, permettant des arômes complexes et puissants et une longueur en bouche.
Nous constatons donc, qu’il existe différentes espèces de vanille, dont les propriétés sont plus ou moins fléchées vers des usages (alimentaire, parfumerie), différents pays producteurs mais également certaines techniques de préparation et affinage associées à un type de consommation qui contribuent à créer une nouvelle sous-catégorie au sein de chaque variété. Nous allons maintenant essayer de préciser l’idée de la diversité en nous concentrant sur la multiplicité de formes que peut engendrer une même espèce.
II. Vanilles terroirs et savoir-faire
Sur l’île de la Réunion toujours, un travail remarquable est en cours, mené par des passionnés qui ne se lassent pas, années après années, de travailler et de mettre à jour leurs pratiques. Louis et Geoffrey Leichnig ont ainsi perfectionné la technique de la vanille givrée, fruit de 3 générations de recherche. Leur vanille est cultivée en sous-bois à Saint-Philippe, au cœur des forêts protégées. Cette méthode de culture associée à leurs techniques et gestes donnent naissance à une vanille recouverte de petits cristaux brillants comme des pierres précieuses. L’huile essentielle de vanilline se fige en surface, créant ainsi une apparence similaire au givre.
Ces vanilles givrées ne datent pas d’hier, déjà H. Lecomte et C. Chalot l’évoquaient dans leur livre « Le Vanillier ». Ce givre se formaient spontanément dans les caisses de fer blanc scellées lors du transport des vanilles vers l’Europe. La découverte de la famille Leichnig est de faire naître ce givre de manière volontaire et contrôlée.
Divers préparateurs-affineurs de l’île de La Réunion développent également une préparation de la vanille aboutissant à une vanille dite “fraîche”. Cette vanille moins sèche, n’est pas souple mais bien rigide. Elle offre des arômes différents et une belle conservation dans le temps.
En effet, nous constatons que les vanilles en tube, du commerce, sont les vanilles “sèches”[1], qui ont un taux d’humidité autour de 30%-40%, elles sont d’une couleur plus foncée et d’avantage striées. Ce sont les plus répandues mais elles ne sont pas pour autant les seules.
En s’éloignant et remettant en question les théories ancestrales de la préparation de la vanille, ces artisans innovent, proposent, créaient et ouvrent le champ des possibles pour la vanille et pour le monde de la cuisine.
Nous pouvons voir que la localité influence naturellement les plantations mais aussi, que la manière de travailler les gousses varie et que la concordance de ces deux critères : terroir et savoir-faire, tend vers la production d’une multiplicité de vanilles, toutes uniques, témoins de la rencontre entre un contexte et une culture.
III. La plantation comme laboratoire aux mille vanilles
Les plantations et les ateliers sont pour nous des espaces d’expérimentations à l’échelle de nos envies et intuitions. Nous pouvons y tester des techniques différentes ainsi que laisser s’exprimer des échantillons hors normes, inadaptés à une vente standardisée mais auxquels nous trouvons des qualités et apportons un soin égal.
Nous retrouvons notamment une multiplicité de formes (des grandes, des petites, des courbées, des charnues, des fendues) et de couleurs (des vertes, des jaunes, des marrons, des tachetées). Ces disparités proviennent du travail minutieux de la plantation. Tous les détails comptent : les méthodes de culture et l’attention portée aux lianes, à leurs tuteurs, aux fleurs, à l’humus, au sol. Le temps accordé aux plantes est la cause directe de ce que l’on observe sur les gousses :
• Les gousses fines et petites relèvent d’une plante jeune ou qui manque de vigueur. Cela peut être à cause d'un excès de soleil, de pluie ou encore de la pollinisation d’un trop grand nombre de fleurs. Cela fait partie des aléas de l’agriculture ;
• Les gousses courbées, quant à elles, n’ont pas eu l’espace requis pour pousser selon le principe même de gravité, lorsqu’elles étaient encore attachées sur la plante, elles se sont pliées et adaptées aux contraintes de leur environnement, un travail de contorsion végétale ;
• Certaines gousses portent les marques du passage de petits insectes avec lesquels elles partagent leur habitat ;
• Les gousses fendues sont le résultat d’une cueillette tardive, c’est une caractéristique de la variété de vanille planifolia, à un certain taux de maturité elles se fendent sur leur pointe, il s’agit du principe de « déhiscence ».
Cette pluralité de gousses est un révélateur de la réalité des plantations et de l’environnement où elles se développent. Si les gousses courbées et tachées sont peu valorisables entières, elles sont généralement séchées et mises petits morceaux ou en poudre pour être transformés en produits dérivés. Quant aux autres, elles ont des atouts non négligeables.
Les petites gousses inférieures à 16 cm, de par leur enveloppe naturelle, gardent toute leur fraîcheur et s'adaptent à des petites préparations culinaires (entre 4 et 6 personnes). On nous préconise généralement une demi-gousse de vanille pour des préparations de 6 personnes mais l’autre partie, si mal conservée, perdra de sa fraîcheur. Alors pourquoi ne pas utiliser ces petites vanilles pré-dosées et dont la conservation est naturelle ? Alors que l’extrait de vanille, le sucre vanillé sont utilisés abondamment, car ils offrent une utilisation simplifiée en cuisine, alors que Norohy, petite sœur de Valrhona, invente Tadoka la juste dose de vanille, que Max Daumin lance le berlingot en poudre équivalent à une gousse de vanille, pourquoi la petite gousse se voit mise au rang de sous-catégorie ? J’invite à les réévaluer !
Les gousses de vanille fendues, qui ont toujours eu plutôt mauvaise presse, commencent à trouver leur place dans les cuisines de chefs. Ces gousses sont en fait mes préférées pour plusieurs raisons : elles sont les dernières gousses à être cueillies en plantation et comme un fruit bien mûre, elles regorgent de sucre. Elles sont également plus stables et permettent de s’amuser sur la préparation et l’affinage et enfin, elles sont surtout extrêmement aromatiques avec des notes de fruits au four et liqueur. Leur huile est d’ailleurs plus rouge que jaune.
Nous avons mis en lumière la diversité des vanilles préparées, prêtes à la vente et à la consommation, mais il nous semble également important de souligner la diversité de ce produit tout au long de son cycle de vie, pour cela, nous allons présenter notre travail et les différents stades de la vanille auxquels nous nous confrontons.
Zoom sur les plantations et atelier de São Tomé
Sur l’île de São Tomé la culture de la vanille est jeune et il nous semble essentiel d’accompagner les agriculteurs sur les techniques durables de production. Alors nous avons mis en place un appui technique et des visites régulières complétées par d’autres actions comme l’approvisionnement de matériel, des formations, mise en place et suivi de la certification biologique, préfinancement jusqu'à 40% du volume de production attendu et la rédaction commune et distribution d’un guide de bonnes pratiques.
Notre première mission avec les producteurs a été sur la cueillette des vanilles mûres, voire très mûres. La maturité est l’aspect le plus important : préparer des vanilles non mûres ne permet pas d’obtenir de la qualité. Il nous a fallu trois années pour obtenir le résultat des efforts communs.
La vanille est verte sur la plante. Plus elle murit plus elle devient verte-claire et sa pointe jaune. Une fois dépassé le stade de déhiscence, elle brunit naturellement. Le mieux, pour obtenir des gousses très aromatiques, est de les cueillir quand elles sont bien jaunes sur leur pointe. C’est plus tard, avec une technique particulière, que le préparateur-affineur fait brunir les gousses sans qu’elles ne se fendent (échaudage et étuvage).
Cet aspect soulève à nouveau la question du champ lexical. Le terme « vanille verte » pour parler des vanilles avant le travail du préparateur-affineur, renvoie également à un fruit immature. On l’évite entre nous car il renvoie à une mauvaise connaissance de la préparation et à des gousses de basse qualité, alors nous nous efforçons à dire des “gousses vertes mûres” ce qui crée une lourdeur. Ce problème de lexique a également été rencontré avec les producteurs à São Tomé, aussi, nous nous sommes confrontés à des confusions à cause de termes mal définis pontada, madura, verde, criada. La terminologie est importante pour se comprendre et représente selon moi un enjeu central aujourd’hui.
Un autre point que nous sommes en train de d’aborder concerne la coupe des gousses au moment de la cueillette. Quand les gousses arrivent à l’atelier certaines sont coupées plus maladroitement que d’autres à cause de l’outil utilisé en plantation et du geste. C’est un problème car nous ne pouvons pas vendre les gousses mal coupées comme des vanilles gourmet.
Dans le cadre de notre collaboration étroite avec les agriculteurs et de l’importance constatée du travail de plantation sur les vanilles, il nous a fallu réfléchir en interne. Nous leur proposons alors de respecter un cahier des charges strict afin qu'ils puissent cultiver des gousses saines et de qualité. En retour, nous les accompagnons et achetons leur production à un tarif plus élevé. Le tarif que nous pratiquons est actuellement près de 9 fois supérieur au prix moyen de la vanille verte vendue à Madagascar. Cette démarche est faite pour valoriser le travail de plantation, par conséquent nous ne pouvons pas d’être compétitif sur les prix. Mais il s’agit pour nous du cœur du projet que de travailler avec des producteurs de l’île en suivant une démarche responsable.
CONCLUSION
Pour résumer, nous pouvons voir que le consommateur habitué à la gousse en tube de verre, ne veut pas de gousses courbées, de gousses inférieures à 16cm, de gousses tachées, mal coupées ou fendues, alors sur notre production annuelle, seulement 1/5 peut être mis en tube ! Nous connaissons pourtant les qualités de celles qui ne rentrent pas dans ce prisme et cherchons à les valoriser. Le travail sur une chaîne complète consiste pour nous à identifier de nouveaux défis et trouver des solutions en s’adaptant à l’environnement où nous nous situons.
Lexique
• Crosse : partie haute de la gousse, accrochée à la plante ;
• Pointe : partie basse de la gousse ;
• Gousse : la partie supérieure de la vanille, l’enveloppe qui couvre et protège les graines, noires et aromatiques ;
• Déhiscence : en botanique, ouverture spontanée d’une gousse.
• Vanille fendue : vanille très mure qui s’est fendue sur sa pointe de par sa nature. Toutes les vanilles ne se fendent pas, comme la Vanilla tahitensis ;
• Vanille Bourbon : Avec 1200 tonnes produites dans les années 30, l’île de La Réunion, anciennement appelée l’île Bourbon, produisait à elle seule les ¾ de la production mondiale ! A l’origine de la découverte de la technique de pollinisation manuelle et de la technique d’échaudage, La Réunion a joué un rôle important dans l’histoire de la vanille. La vanille devient alors vanille bourbon, en hommage à son lieu d’origine. Appellation reprise ensuite par toutes les îles de l’océan indien ;
• Vanille fraîche : vanille préparée et affinée avec un taux d’humidité supérieur à 50% ;
• Vanille givrée : vanille concentrée en vanilline qui forme sur sa gousse des cristaux d’huile de vanille comestibles ;
• Vanille rouge : vanille avec un taux d’humidité inférieur à 20%, dont la gousse tourne au rouge bordeaux ;
• Vanille sèche : vanille préparée et affinée avec un taux d’humidité inférieur à 50% ;
• Vanille verte : vanille fraichement cueillie sur sa plante, ayant une couleur allant de verte foncée au vert clair et même jaune marron à sa pointe. Elle est dite verte avant le travail du préparateur-affineur qui va la faire brunir.