INTRODUCTION
La vanille nous accompagne souvent depuis notre enfance, elle est très présente dans notre culture culinaire française, pâtisseries et confiseries mais aussi dans notre paysage olfactif parfums, savons, bougies... Cependant, les connaissances à son égard me paraissent plutôt limitées.
J’ouvre régulièrement mon atelier de transformation de vanille au public et les remarques se succèdent et se répètent : la distinction entre extrait synthétique et vanille « naturelle » n’est pas claire, c'est la deuxième épice la plus chère du monde et l’origine est exclusivement associée à Madagascar.
Ces préconçus me semblent fortement ancrés et en contradiction avec la gourmandise et le parfum réconfortante de cette épice ainsi que sa pluralité. Un article de Éric T. Jennings « Cartels et lobbies de la vraie vanille : marketing, genre, nostalgie et réseaux postcoloniaux » présente le travail réalisé dans les années 1960 et 1970 par le groupe Univanille pour valoriser la vanille et la faire entrer dans les habitudes de consommation des français. Ce dernier avait mandaté différents groupes de communication afin de réfléchir à une façon idoine de la vendre. Il en était ressorti une volonté de transparence, de distinction et d’exotisme incarné notamment par un outil : le tube en verre. Celui-ci avait la vocation de présenter les gousses de vanille le plus directement possible tout en en faisant un élément raffiné et muséographié. De surcroît, ses dimensions se sont vues adaptées à une espèce spécifique cultivée à Madagascar : la Vanilla planifolia. Ce choix, issu de réflexions commerciales, a profondément marqué l’imaginaire collectif entourant la vanille et porte en lui les germes du triptyque présenté précédemment concernant : les arômes de synthèse, le coût, l’origine géographique. Ainsi, il me semble qu’i convient à nous (agriculteurs, préparateurs-affineurs, sourceurs, épiciers, cuisiniers, pâtissiers, parfumeurs, passionnés) de nous interroger et d’échanger collectivement afin de faire émerger une réalité plus actuelle et proche de notre pratique quotidienne de cette épice. Il parait déterminant aujourd’hui d’insuffler un nouvel imaginaire collectif afin de dépasser enfin cette vision réductrice et homogénéisante de notre chère vanille.
Dans ce premier article, je reviendrai dans un premier temps sur ce que m’évoque cette épice, tant symboliquement que pratiquement en rappelant le savoir-faire et la minutie inhérente aux gestes de l’artisan. Ensuite, nous reviendrons sur « le besoin d’éducation aux vanilles », je vous parlerai de mon idée de mettre en avant l’affinage dans nos discours et reviendrai sur deux techniques qui opposent naturellement la vanille conventionnelle de la vanille haut de gamme. Enfin je vous présenterai mes inspirations et idées pour mettre en commun nos connaissances en intégrant le grand public. Je finirai en vous présentant aussi rapidement ma pratique de l’affinage afin d’offre des clefs de lecture sur les dessous du travail d’atelier.
I. La vanille comme incarnation de l’unicité des lieux et des savoir faire
Je voudrais comprendre comment à partir d’une plante aussi sensible que la vanille, avec le fruit d’une orchidée tropicale, une épice donnée en offrande aux dieux, nous arrivons aujourd’hui à ne parler que de prix et d’extraits chimiques. Aussi, je souhaiterai vous présenter quelques histoires qui représentent pour moi la poésie même de la vanille.
Tout d’abord, je vous invite à lire les écrits d’Olivier Roellinger qui mettent en comparaison la vanille avec “la tendresse de l’enfance”. De fait, le champ lexical qui s’applique à la culture et la préparation de la vanille se réfère beaucoup à celle-ci et à la maternité. En plantation d’abord, avec les pollinisations manuelles sont réalisées principalement par des femmes appelées “les marieuses”, il faut attendre ensuite 9 mois avant de cueillir les fruits qui sont les gousses que nous consommons initialement nommées TLILXOT-CHITL » traduit par « gousse noire » ou « mère noire ». Pendant la préparation, les gousses sont enroulées dans des couvertures en laine, on dit qu’on les “lange”, elles sont chaudes, rondes et dégagent des parfums de sucre et de fleurs, et puis nous en prenons soin quotidiennement comme des nouveau-nés. En parallèle, Olivier Roellinger évoque la nostalgie de l’enfance qui entoure la vanille et met en avant les souvenirs des gâteaux préparés dans la cuisine par sa mère et servis encore chauds pour le goûter.
Enfin, nous le remercions également pour la lumière mise sur les terroirs et les gestes rendant chaque vanille unique :
« Privilégier telle ou telle origine n’a pour moi aucun sens. La culture de la vanille rejoint celle de la vigne. Un peu comme le vin, il y a beaucoup de gens qui travaillent moyennement bien et seuls quelques-uns auront la connaissance et le savoir-faire nécessaire pour proposer des produits de qualité. Dans le choix d’une bonne vanille, il y a bien sûr une dimension de terroir, de millésime, suivant le climat, la variété botanique, mais il y a surtout le travail des femmes et des hommes ».
Ce travail manuel, fruit de recherche et de temps, est parfaitement incarné par Louis Leichnig et son fils avec des vanilles pensées comme des bijoux dans leurs écrins, des vanilles que nous n’osons à peine toucher par leur aspect cristallisé et leur beauté. Il faut comprendre que derrière chacune de ces gousses, il y a des années d’expérience, des lectures subtiles de la nature et de l’épice, un apprivoisement des rythmes de séchage et de conservation. Nous pouvons lire la passion, le dévouement et la vie de cette famille dans ces petits chefs-d'œuvre. Je vous invite à regarder cette vidéo postée sur instagram, agrémentées de poèmes, émanations lyriques de leur savoir-faire unique : https://urlz.fr/swCt
Ce rapport à la poésie m’évoque également la légende mexicaine, aire géographique d’où provient la vanille, qui présente une histoire d’amour impossible et magique.
Selon les croyances du peuple amérindien Totonaque, la liane de vanille est née du sang de la princesse Tzacopontziza « Étoile du Matin » et de son amant, le prince Zkatan-Oxga, le « Jeune Cerf ». La veille de prêter serment pour la déesse des récoltes qui infligeait à la princesse de vivre recluse toute sa vie. Ils décidèrent alors de fuir le royaume. Malheureusement, les prêtres de Tonoacayohua, envoyés par le père de la princesse, rattrapèrent les amoureux interdits et les tuèrent. A cet endroit même, un vigoureux arbuste poussa enlacé par la délicate liane d'orchidée en fleur. Neuf mois passèrent et les fleurs se changèrent en gousses de vanille, symbole de leur amour. Les Totonaques donnèrent à la vanille le nom de caxixanath, la « fleur cachée ».
On pourrait aussi citer tout simplement une recette d’une crème anglaise à la vanille en reprenant Nicolas Bouvier, dans son essai « Une orchidée qu’on appela vanille » de 1980, « La suavité apparaitra dans les recettes car les pâtissiers emploient un langage précieux et fleuri mais qui ne convient qu’à la pâtisserie »
Le livre de pâtisserie par Jules Gouffé, officier de bouche du Jocket Club de Paris, Entremet de douceur :
Crème anglaise à la vanille
Faites infuser une forte gousse de vanille pendant 2 heures dans un litre de lait bouillant.Mettez 10 jaunes d’œufs dans une casserole avec 300 grammes de sucre en poudre.Mêlez parfaitement le lait avec le sucre.Faites lier sur le feu.Evitez que la crème ne bouille, sinon elle tournerait.Lorsque la liaison est faite, ajoutez 45 grammes de gélatine fondue dans 2 décilitres d’eau. Pour obtenir une bonne dissolution, il faut laisser tremper la gélatine à grande eau.Lorsqu’elle est trempée, jeter l’eau ; il ne doit en rester que 2 décilitres.Faites fondre à bain marie.Mêlez à la crème.Passez à travers une passoire très-fine.Mettez un moule dans la glace pilée.Remplissez-le.Couvrez le moule d’un couvercle.Mettez dessus de la glace pilée.Après 2 heures, démoulez et servez.
Nous sentons, alors que nous manipulons un fruit qu’il faut chérir. J’ai découvert le monde de la vanille avec cet imaginaire. C’est cette poésie qui se confronte aujourd’hui aux idées reçues sur la vanille. Pour illustrer ce propos je vous invite à revoir un reportage récemment diffusé sur la quotidienne de France 5. Les journalistes Maya Lauqué et Thomas Isle ont invité Jeoffrey Cagnes et Olivier Roellinger à échanger sur différentes questions autour de la vanille : leur utilisation, leurs diversités et le travail artisanal inhérent. Lors de ce visionnage, Nous nous retrouvons face au constat clair de la confusion qu’il existe dans la tête des français :
“Et surtout ce qui est intéressant c’est la diversité…” Olivier Roellinger
“...Mais on se rend bien compte que c’est une découverte, qu’il faut une éducation aux vanilles et le problème c’est qu’on ne part pas forcément… disons qu’on part pas sur de bonnes bases” Maya Lauqué
“Parce qu’en fait on s’emmêle un peu les pinceaux. Faut dire qu’on ne nous aide pas beaucoup” Victoire N'Sondé, journaliste scientifique, spécialisée également en consommation.
Dans la suite de ce reportage c’est accentué par une nouvelle équivoque avec des produits de synthèse : Victoire N'Sondé présente des produits de grande consommation (à savoir du sucre blanc vanillé en sachet Monoprix, des yaourts au lait bio à la vanille de Lait deux Vaches, des crèmes dessert à la vanille et une préparation de crème anglaise en poudre Alsa) et les confrontent aux deux invités.
Pourquoi inviter des spécialistes de la vanille pour les mettre face à des produits industriels au gout vanillé ? Comment continuer à comparer, face à des individus consacrant leur vie à la promotion des épices, des produits de synthèse. Ce serait comme comparer du café soluble à un café de spécialité ou bien un fromage pasteurisé industriel avec un fromage artisanal affiné.
II. Pour une compréhension globale du processus de conception de la plante à l’assiette
Face à cette nécessité d’une “éducation aux vanilles” et ce flou commun, essayons de clarifier un peu les choses et de s'harmoniser. Il me semble qu’il faudrait que nous nous accordions avec les terminologies pour faciliter la compréhension du grand-public. Peut-être faudrait-il travailler sur un lexique plus clair, j'aperçois tellement de confusion ! Avec “transformation” par exemple, peu y lisent le travail post-cueillette des gousses de vanille verte, mais plutôt une transformation de la vanille en poudre ou en extrait. Qu’en est-il également du terme producteur ? Qui est producteur ? Sommes-nous producteurs de vanille quand nous préparons et affinons ? Achetons-nous à des producteurs la vanille verte ? Le terme de vanille sèche, également, ne renvoie pas à un produit gourmet mais à un aspect péjoratif de vanille sèche, cassante. Les professionnels parlent alors de vanille rouge quand elles sont « trop » sèches, à ne pas confondre avec l’huile rouge des vanilles fendues… S’harmoniser pour se comprendre.
Mes observations personnelles m’ont amené à mettre la vanille en comparaison avec le thé et le café. Combien d’entre nous connaissent le processus que ces feuilles et ces petits fruits requièrent ? Pour un thé noir de Chine il faut plusieurs jours de préparation et 6 étapes : le flétrissage, le roulage, l’oxydation, le séchage, le triage ou tamisage et la cuisson. Les préparateurs de thé sont d’ailleurs appelés “producteurs”. Dans le domaine du café et du thé, l'accent est mis sur la dégustation, la qualité des grains ou des feuilles, les terroirs distincts, les nuances de goût et les préparations. Ces aspects sont captivants et parlent aux consommateurs, leurs permettant de comprendre et d'apprécier la diversité et la subtilité des produits. Il ne s’agit pas de les acculturer aux différentes méthodes de transformation mais de leurs transmettre les clés de lecture des différences entre les produits finis. La mise en relation de ce qui est à l'œuvre pour le thé ou le café par rapport à la vanille génère chez moi une sorte de déclic. Il faudrait peut-être avant tout transmettre le plaisir de la dégustation, la délicatesse qui entoure cette épice et sa pluralité, lui rendre sa superbe, avant d’aborder les sujets techniques et méthodiques.
J’ai pu constater lors de visites de mon atelier qu’une approche exhaustive des étapes de transformation amène à un décrochage de l’auditeur. Les étapes sont nombreuses (une dizaine), précises (au degré et à la seconde près pour l’échaudage et l’étuvage), aux noms techniques (triage, échaudage, étuvage/fermentation, séchage solaire sur claies, séchage interne, massage, affinage en malles, mise en bottes, bouclage, pollinisation en plantation), ce qui peut offrir un récit fastidieux. L’intention n’est en aucun cas de mettre de côté le travail des artisans, au contraire, il est central pour comprendre comment obtenir une bonne vanille. Mais je souhaiterai créer plus de liens avec les consommateurs qui me paraissent, aujourd’hui, loin de notre approche. J’aimerai questionner l'intérêt de présenter au grand public d’entrée de jeu, toutes les étapes de préparation de la vanille. Dans cette perspective, l’idée est de se concentrer sur les saveurs des vanilles et leurs subtilités, faire appel aux goûts et à leurs descriptions. En d’autres termes, à la capacité que nous avons de parler des qualités gustatives d’une vanille par rapport à une autre. Cela renvoi selon moi à la question du lexique abordée un peu plus tôt, d’une roue des saveurs de la vanille, mais également l’intention et le temps dédié à la transformation où les arômes se développent.
Dans la pratique, néanmoins, mes recherches, mes échanges et mon quotidien m'amènent à proposer de valoriser l’étape de l’affinage. Il s’agit d’un moment clé où les vanilles viennent affirmer leur identité. C’est l’union entre le terroir et le geste du préparateur-affineur, le lien entre ce cadeau de la nature et la main de l’homme. L'affinage est la dernière étape avant le conditionnement, sans doute initiée dans les bateaux marchands d’épices en direction de l’Europe au XIXe siècle, elle s’est ensuite perfectionnée. En effet elle requiert de la patience mais aussi une compréhension des facteurs qui influencent son procédé. Elle consiste à disposer les vanilles dans des malles fermées pendant un certain temps afin qu’elles maturent/vieillissent et révèlent leurs parfums. Les gousses se stabilisent grâce à l'effet conservateur du glucose et les arômes vanillés se développent. L’affinage est régi à la fois par son environnement naturel qui définit des conditions climatiques (températures, ventilation, humidité), les ressources matérielles (entreposage, bois des malles). L’affineur doit alors trouver comment jouer correctement de ces éléments pour trouver “sa recette” : en ouvrant les malles, en sélectionnant le bon bois, en trouvant l’emplacement dans une pièce plus ou moins aérée, en choisissant qui les manipulent, décrire l’évolution des arômes… Une méthode d’affinage sur plusieurs mois a un intérêt sur le goût et les parfums de la vanille. En acceptant de prendre ce temps, nous offrons aux vanilles la possibilité de développer des “arômes secondaires” qui leurs confèrent une complexité, une longueur en bouche tout en révélant une identité unique liée à leur environnement. En fonction de la région, des matériaux utilisés et de la main des préparateurs-affineurs, la vanille évoluera différemment. Alors imaginer la quantité de notes aromatiques diverses qu’il peut y avoir d’une vanille du Mexique à une vanille d’Ouganda ou de Nouvelle Calédonie. Pour aller plus loin ajoutons également la notion de terroirs et de variétés car il existe des dizaines de familles de vanille ! J’approfondis ce sujet dans le prochain article.
Les techniques d’affinage sont propres à chacun mais on peut tout de même distinguer deux genres qui se distinguent fortement. La première au long-terme est celle de l’affinage lent. La seconde, permet de commercialiser un produit en quelques semaines uniquement. Si cette autre technique gagne en popularité c’est en raison de sa simplicité et de son efficacité économique, elle prive pourtant la vanille de sa singularité que seul une temporalité élevée peut offrir. C’est selon moi l’attention portée à cette étape, le choix du temps ou de la rapidité, qui symbolise l’envie du préparateur-affineur de faire une vanille de qualité ou une vanille marchande. C’est ici qu’on vient distinguer une vanille haut de gamme d’une vanille conventionnelleet sur cet aspect qu’il faudrait sensibiliser les consommateurs. Vous noterez d’ailleurs qu’il n’existe pas encore pour la vanille de terminologie pour les vanilles de haute qualité.
III. Pour une reconnaissance collective de la diversité et de la qualité des vanilles produites
L’évocation de ces deux méthodes, me permet d’aborder un point central. En choisissant de mettre sur le devant de la scène l’affinage de la vanille, je pense que nous pouvons créer un pont avec le consommateur qui a couramment sur sa table des produits affinés comme le vin, le fromage, ou encore la charcuterie. Il pourrait ainsi plus facilement faire le rapprochement entre la subtilité d’une vanille et son temps d’affinage.
Dans ma volonté de contribuer à l’évolution de l’imaginaire de cette épice et de sensibiliser sur les vanilles, je souhaiterai échanger autour des parfums, des terroirs et des méthodes d'affinage plutôt que de l’entendre être comparée à des extraits de synthèse et simplifier à un bâton noir conforme et égal. En sensibilisant les consommateurs sur ces aspects nous pourrions développer une meilleure appréciation de la vanille de haute qualité ainsi qu’élargir la palette gustative utilisée pour parler des vanilles. Pour ce faire, je souhaiterai revenir à l’idée de l’affermissement d’une communauté vanille.
Une source d’inspiration réside dans le travail de la Specialty Coffee Association (SCA). Fondée en 1982 qui représente aujourd’hui une communauté mondiale du café durable, équitable et florissante pour la chaîne de valeur. Par ses actions elle a établi et implanté dans les esprits et sur les marchés la notion de café de spécialité. Leurs missions sont claires et définies : faire découvrir le café de spécialité aux ; former les acteurs de l’univers du café ; améliorer les standards du café (conseil et communication) ; identifier le café de spécialité à l’aide du protocole « cupping » (une méthode de dégustation sur 100 points appliquée par les membres formées appelés “Grader”). La communauté est parvenue à mettre au point le Coffee Cupper’s Handbook, un outil éducatif pour décrire les différences de saveurs des cafés. La SCA a opéré un pas de géant en termes de communication sur le café grâce au développement d’un lexique précis et d’un protocole pour l’évaluation du café. Ce qu’a réalisé la SCA a contribué à faire valoir les différences entre les cafés selon leurs origines, leurs profils de saveurs, leurs qualités et leurs préparations. La persévérance dont ils ont fait preuve a permis une évolution de l'expérience des consommateurs de café en développant une sensibilité à la nuance gustative et élever la qualité créant une distinction entre les buveurs de café et les buveurs de café de spécialité.
Ne pourrions-nous pas envisager une démarche similaire pour la filière vanille ? Des rencontres et tables rondes, des visites d’ateliers, la création de procédés de dégustation, un lexique, des standards d’évaluation et de qualité précis et élevés, un salon annuel... Selon moi, en adoptant cette démarche, nous mettrions en lumière la diversité et la complexité des vanilles et nous inspirerions une appréciation renouvelée et approfondie de cette épice.
« Le café de spécialité est défini comme une boisson artisanale à base de café de qualité, qui est jugé par le consommateur (dans un marché limité à un moment donné) comme ayant une qualité unique, un goût distinct et une personnalité différente, et même supérieur au café conventionnel offert. Le café de spécialité est fait à base de graines de café qui ont été cultivées dans une zone définie et conformes aux normes les plus élevées pour le café vert, sa torréfaction, son stockage et sa préparation. » CIRAD
CONCLUSION
Actuellement, dans le monde de la vanille il y a des signaux qui tendent à indiquer que la temporalité est la bonne pour entreprendre ce mouvement. Des préparateurs-affineurs font des découvertes incroyables dans leurs ateliers, de nouvelles vanilles sont découvertes chaque jour, des professionnels redéfinissent la manière de parler de la vanille, en employant un vocabulaire spécifique pour décrire ses arômes et en accompagnant le consommateur. De surcroît, j’ai la sensation que les échanges se multiplient sans doute guidés par une envie de comprendre les mystères de cette épice. Charlotte et Paul m’ont encouragé à croquer dans une gousse de vanille, Mathilde m’a conseillé d’infuser la vanille tahitensis dans un lait froid et le laisser reposer une nuit, c’est au concours général agricole que nous avons fait une différence entre une gousse “luisante” et une gousse “vernie”. Chacun de nous à son vocabulaire et son approche de la vanille qui nécessiterai une mise en commun pour choisir et prendre une direction qui intégrerait tous les acteurs de la filière.Cet effort vise non seulement à satisfaire les connaisseurs désireux de décoder les subtilités de la vanille, mais également à guider les néophytes à travers les richesses de cette épice, en mettant en lumière la diversité de ses origines et la complexité de ses saveurs.
Pour cette raison il me semble pertinent de se mobiliser en tant que communauté autour de la vanille afin d’amorcer cette bascule pour la valorisation de cette épice et le changement de trajectoire de l’imaginaire collectif. En piquant la curiosité et la gourmandise des consommateurs et des professionnels sur les critères qualitatifs des vanilles, des méthodes d'affinage notamment et de leur pluralité. C'est en valorisant les méthodes artisanales et en sensibilisant le public aux nuances des vanilles que nous pourrons véritablement changer leur perception et établir une nouvelle norme d'excellence.
Zoom sur notre atelier de São Tomé - L’affinage
Pour illustrer cette approche, je vous propose d’entrer dans mon atelier et suivre mes expériences d’affinage de la vanille planifolia de São Tomé.
Les deux premiers mois de l’affinage se déroulent pendant la “gravana” la saison sèche. Il ne pleut pas, la température est raisonnable 20-30°c et l’humidité plutôt basse (70-80%). Au cours de ces deux premiers mois, on ouvre les portes du matin au soir pour ventiler la salle de stockage. Il nous faut ouvrir chaque malle deux fois par semaine, en déroulant pendant une trentaine de minutes les vanilles de leur papier paraffiné. C’est l’équipe de l’après-midi qui s’en occupe alors que l’équipe du matin s’occupe encore des gousses vertes qui arrivent des plantations des agriculteurs et des vanilles sur le séchoir à l’ombre. Le passage du séchoir à l’ombre aux caisses d’affinage est une étape cruciale. En effet une gousse trop sèche ne tiendra pas l’affinage lent, une gousse trop humide développera des moisissures. C’est par le coup d’oeil, le toucher et surtout l’expérience qu’on se fait guider. Le passage de la saison sèche à la saison des pluies demande également de se réajuster, on a alors besoin de plus de ventilation car les températures montent avec l’humidité. Pour faire entrer la fraîcheur matinale, on met notre réveil à 5h en alternance avec Francesco pour ouvrir les portes de l’atelier ! A l’écoute des vanilles on voit également s’il faut les ouvrir moins souvent, on passe progressivement à une fois par semaine puis une fois tous les dix jours, etc. On commence à avoir plus de temps, alors on reprend les massages et les différents tris par taille, par calibre etc. Aujourd’hui nous affinons plus de 9 mois et nous voulons aller jusqu’à 12 mois et plus !
J’ai réalisé ma toute première production en caisse en bois, d’un jour à l’autre en l’ouvrant les vanilles étaient devenues cassantes, striées et blondes. Pour une préparatrice-affineuse ce résultat est un échec, alors j’ai accusé le bois d’avoir absorbé l’humidité contenues dans les gousses et j’ai cherché un autre contenant. L ’année suivant j’ai essayé avec des bocaux en verre, puis des pochettes plastiques hermétiques et enfin des caisses rigides en plastique. J’ai adoré travailler avec elles et elles m’ont donné la liberté de m’attarder sur les autres étapes de la préparation que je voulais améliorer. Après 4 ans, la qualité des gousses a bien augmenté alors je reviens sur cette histoire de caisses pour revenir au bois ! Plus expérimentée, avec des gousses de vanilles plus mûres et plus stables, je suis prête à risquer de perdre des vanilles pour la science ! Alors on a dessiné des prototypes, sélectionné des essences de bois locaux, commandé des planches qu’on a fait sécher 4-5 mois et amené chez le menuisier (A São Tomé le bois se travaille encore frais, impossible pour nos caisses qui doivent être hermétiques). C’est en s’inspirant de modèles de caves à cigare, du modèle de Julien Pascale en Nouvelle-Calédonie et de celles que nous trouvons dans le manuel de vulgarisation de la préparation de la vanille de Madagascar de 1995 que nous avons créé les nôtres. Le premier exemplaire test n’a pas été concluant car les gousses ont perdu très vite beaucoup d’humidité à nouveau. Alors on réfléchit à une nouvelle idée : préparer les caisses avant d’y mettre les vanilles. Saturer le bois, par plusieurs procédés tests, sur plusieurs mois. Les autres caisses sont encore fabrication, alors la transition prendra encore une année ou deux. São Tomé nous fait revoir notre relation au temps, comme l’affinage. A suivre.